Canto, le catalyseur
Manutd.com consacre une semaine au génie d'Eric Cantona à l'occasion de la sortie en Angleterre du film de Ken Loach Looking for Eric, dans lequel Cantona joue son propre rôle. Aujourd'hui, voyons comment Canto a fait d'un club de seconde zone le plus grand club du monde.
Si Cantona est tellement adulé chez les fans (élu meilleur joueur du club du XXème siècle quand même, quand on sait que Charlton, Edwards, Best, Law, Robson et autres Giggs y ont joué...), c'est très certainement parce qu'il a ramené Manchester United, club qui n'avait plus été champion depuis 26 ans, se contentant de quelques coupes par-ci par-là, sur le devant de la scène et a lancé le fabuleux cycle de succès de Ferguson en guidant la génération Beckham.
L'arrivée de Cantona a donc été le catalyseur qui a changé une équipe comportant quelques excellents joueurs (Bruce, Robson, Pallister, Schmeichel, Ince, Giggs...) en une équipe de vainqueurs. Il y avait déjà de quoi bâtir une équipe à succès : une défense intraitable (la paire Bruce-Pallister, Irwin), un milieu besogneux et travailleur (le mythe Robson, le futur traitre Ince) et un mélange de brutalité (Hughes) et de subtilité (Kanchelskis, Sharpe) en attaque. Mais il manquait quelque chose pour qu'elle devienne la meilleure équipe du pays, un "je ne sais quoi" de champion.
Cantona débarqua donc de Leeds et de suite, l'équipe s'envola vers les sommets, comme Leeds l'avait fait dès l'arrivée du Français (finissant champion cette saison 1991-92 juste devant United). Sir Alex Ferguson savait bien quelle bonne affaire il venait de faire, jouant ainsi un bien vilain tour à un des clubs ennemis de United, et pour une bouchée de pain en plus.
En effet, la saison avait déjà démarré, United était dans une forme correcte sans être spectaculaire et le téléphone de Sir Alex sonne alors. L'appel était du directeur exécutif de Leeds Bill Fotherby. Il appelait pour discuter d'un éventuel transfert pour le latéral irlandais Denis Irwin. Mais à la place, en moins d'une heure, le roublard Fergie retourna l'affaire, parvenant à convaincre l'entraineur de Leeds Howard Wilkinson de lui refourguer Canto pour seulement 1M£. Comment Wilkinson a pu accepter de se séparer du joueur qui en six mois venait de lui offrir un titre de champion, ça restera un mystère.
Comme Sir Alex le reconnaitra dans sa biographie, "Une des plus extraordinaires périodes de l'histoire de Manchester United allait démarrer." Mais United n'avait pas juste recruté un attaquant capable de marquer des buts et de ramener des titres. Il avait surtout signé un homme avec la mentalité et le charisme d'un champion. Fergie lui-même fut surpris par l'impact immédiat de Canto en dehors du terrain.
Dès la fin de la première session d'entrainement au Cliff (le centre d'entrainement avant Carrington), Canto se dirigea droit vers Sir Alex et lui demanda deux joueurs et un gardien, pour qu'il continue à s'entrainer. Il passa donc une demie-heure de plus à tenter des centres des deux côtés et des reprises de volée. Le jour suivant, la moitié de l'équipe resta pour cette prolongation d'entrainement.
"Beaucoup de gens ont acclamé à juste titre Cantona pour son rôle de catalyseur qui a eu un impact crucial sur nos succès pendant qu'il était au club, mais rien de ce qu'il faisait pendant les matchs n'était aussi significatif que la façon dont il a ouvert mes yeux sur l'importance de s'entrainer."
Cette équipe qui jusque là, n'avait eu que peu de succès vu la qualité et les promesses dont elle regorgeait, était alors revitalisée. Plus d'un quart de siècle de disette et de ratés fut rapidement oublié alors que les Red Devils se faisaient leur place à coups d'épaule dans un trio de tête avec Aston Villa et Norwich City. Et avec sept victoires d'affilée dans la dernière ligne droite, United termina champion.
L'habitude de la victoire s'installa donc et Cantona, col relevé et buste dressé, était le visage charismatique des nouveaux champions. Jusque là un voyageur (entre 1988 et 1992 : Auxerre, Marseille, Bordeaux, Montpellier, Nîmes et Leeds, soit six clubs en cinq ans), Cantona put enfin poser ses valises, il était arrivé chez lui. Et quel chez lui ! Un Old Trafford littéralement à ses pieds, une véritable cathédrale vouée au culte d'un presque dieu entonnant fièvreusement des "Oooh Ah Cantona" voire même l'hymne français en son honneur (hérésie pour des Anglais !).
Alors que l'adulation se déversait des tribunes, les trophées florissaient sur le terrain. Lors de ses cinq saisons au club, Cantona remporta quatre titres de champion et deux Coupes d'Angleterre (dont deux doublés en 94 et 96). En fait la seule saison où les Red Devils ne purent revêtir la couronne anglaise fut celle où Cantona était sur la touche. C'est simple : si Canto n'avait pas répondu aux insultes du tristement célèbre Matthew Simmons à Selhurst Park et récolté une suspension de neuf mois (le kung-fu kick, les mouettes, le "je vous pisse au cul", le pape, etc...), eh bien United serait très certainement dans les livres d'histoire pour avoir remporté successivement cinq titres de champion entre 1993 et 1997, année du départ à la retraite du King.
L'importance de Cantona pendant ses années au club était évidente, il était un joueur phénoménal doublé d'un talisman. Mais c'est surtout sa mentalité intransigeante et son professionnalisme qu'il a instillés au sein du collectif et de joueurs qui courent encore sur la pelouse d'Old Trafford. Douze ans après sa retraite, l'habitude et la faim de gagner ne semblent montrer aucun signe d'essouflement à Old Trafford. C'est sans doute pour ça qu'on entend encore et toujours les "Ooooh Ah Cantona" mugir des travées du Théâtre des Rêves.