Manchester United : Une Histoire de défense (Partie 2)

Notre petite rétrospective à travers les grandes associations de défenseurs centraux que United a connu nous mène aux portes du deuxième millénaire. La communauté mancunienne est déjà nostalgique de la merveilleuse complicité qui régnait entre Steve Bruce et Gary Pallister. Mais le temps n'est pas à regretter les exploits glorieux du passé, Ferguson prépare déjà activement sa future paire défensive...


Cette paire n'aura peut-être pas été la plus charismatique. Pas la plus célèbre non plus. La plus durable ? Point du tout. "Mais alors, pourquoi avoir choisi une telle association, nom d'un petit bonhomme ?" Tout simplement parce qu'elle correspond à l'une des pages les plus glorieuses, si ce n'est la page la plus glorieuse, que les plus grands protagonistes du club ont écrite. Teddy Sheringham et Ole Gunnar Solskjear achevèrent l'écriture de ces pages dorées, en faisant s'élever les Diables Rouges au Paradis Blanc dans les tous derniers instants d'une soirée de mai 1999. Schmeichel, Gary Neville, Irwin, Butt, Beckham, Roy Keane, Yorke, Giggs ou encore Scholes en eurent écrit une bonne partie. Et nul doute que Jaap Stam et Ronny Johnsen auront eux aussi couché leurs mots sur ces pages les plus glorieuses du livre United. Vous l'avez deviné, cette deuxième partie de la trilogie cocornithienne est consacrée au grand chauve et à l'autre grand un peu moins chauve.

JAAP STAM – RONNY JOHNSEN (1998-2001)

Trois. C'est le nombre de saisons que le Néerlandais et le Norvégien vont passer ensemble. Pérennité et durabilité ne sont certainement pas les meilleurs mots pour qualifier cette association, quand on sait que Bruce et Pallister ont évolué côte à côte pendant 6 longues et riches années... Oui mais trois, c'est aussi le nombre de trophées que cette charnière va glaner en une seule saison. Bien évidemment, je veux parler de LA saison, celle que tout le monde appellera plus tard The Treble. La saison du Triplé, où Manchester United fait de l'Angleterre son jardin, et de l'Europe son trône.

Il est des joueurs qui traversent les couloirs de United sans faire de bruit, qui quittent le club après une poignée de saisons et de matchs, aussi anonymement et silencieusement qu'ils l'ont rejoint, dévorant des yeux les vitrines de trophées copieusement remplies du club. Et il est des joueurs qui furent présents au bon moment, et dont une seule saison a suffit à les ancrer à jamais dans l'Histoire du club, dans la mémoire des supporters, dans les souvenirs du football. Dire que l'association entre Jaap Stam et Ronny Johsen était courte, c'est énoncer un doux euphémisme. Elle n'a même pas, à proprement parler, duré 3 ans. La saison 1999-2000, à l'aube du nouveau millénaire, au commencement d'une nouvelle page, est presque vierge pour nos deux gaillards en termes de matchs disputés ensemble. Pas en terme de trophées. Johnsen, qui ne sera jamais épargné par les blessures, ne disputera alors que 2 matchs. Et 17 la saison suivante...

Je comparerais cette association à un insecte, l'Éphémère. Terme qui la qualifiera parfaitement bien. Telle une Éphémère sortant de son pénible stade larvaire, cette association a pu se sublimer, s'élever et s'envoler pour mettre, avec toute l'équipe, l'Angleterre et l'Europe entière à ses pieds. Mais telle une Éphémère succombant au bout de quelques heures à peine, cette merveilleuse association a rapidement disparu. La vie de cette doublette aura été aussi courte et intense que celle de l'insecte. Sénèque, célèbre auteur de l'Antiquité, écrivait alors : "La vie est un conte. Ce qui importe, ce n'est pas sa longueur, mais sa valeur" Cocornitho, sinistre inconnu du XXIème siècle, écrira plus tard : "L'association défensive est un comte. Ce qui importe, ce n'est pas sa longueur, mais sa valeur". Si le conte de Stam et de Johnsen ensemble ne durera véritablement qu'une seule et unique saison, nul doute que cette saison fut riche et marquante dans leur carrière de footballeurs. Et je vous propose de revisiter ce conte à travers la paire que formèrent nos numéros 5 et 6 de l'époque.

Ronny Johnsen :

Si l'on demande à un supporter mancunien de citer un grand défenseur de l'histoire du club, il y a peu de chance qu'il évoque Ronny Johnsen. Non non, pas Wayne Ronny, Ronny Johnsen ! Il ne pourra pas se targuer d'être le plus grand joueur Norvégien ayant joué pour le club, la récompense reviendra sans nul doute à Solskjaer. Allez, peut-être que certains le définiront comme le meilleur défenseur Norvégien ayant évolué avec le maillot rouge ? Une bien maigre consolation. Certains défenseurs, pas forcément les plus talentueux, restent à jamais dans l'esprit des supporters pour un match, pour une minute, pour un geste. Comment oublier le doublé de la tête de Bruce face à Sheffield ? Comment oublier le but délivreur d’O’Shea face à l'ennemi Liverpool ? Comment oublier l'incroyable sauvetage sur sa ligne d'Henning Berg devant l'Inter ?

En principe, il arrive toujours un événement incroyable pour un défenseur, un match où le travailleur de l'ombre est soudainement mis à la lumière, acclamé, encouragé, félicité le temps d'un match, pour retourner à la noirceur de son ouvrage les matchs suivants. Mais Ronny Johnsen, lui, n'aura pas connu une telle gloire individuelle. Ou du moins, pas en tant que défenseur central. Car son meilleur match disputé sous les couleurs mancuniennes est certainement ce match aller en demi-finale de la Ligue des Champions, disputé sur la pelouse de la grande Juventus (1-1). Johnsen évoluait alors en milieu de terrain défensif, et aura complètement étouffé les meneurs de jeu Turinois tels que Del Piero ou encore Zidane. Si Manchester atteint la finale de cette édition de la Ligue des Champions, c'est en grande partie grâce à son numéro 5. Mais les supporters en retiendront plus du match retour à Old Trafford, gagné 3-2. Ils n'oublieront pas de soutenir le capitaine Keane, qui sera suspendu pour la finale à l'issue de ce match. Ils n'oublieront pas non plus les buts de Keane toujours, de Dwight Yorke et enfin d'Andy Cole, qui expédiaient United en finale après qu’Inzaghi ait ouvert les hostilités. Enfin, ils n'oublieront pas le sauvetage sur sa ligne de Jaap Stam au cours de ce même match. Mais combien, à l'issue de cette merveilleuse campagne, souligneront l'importance continue de Johnsen et ce match-clé à Turin ? Très peu malheureusement.

On comprend vite comment Johnsen est devenu un joueur méconnu, une ombre au milieu des lumineuses étoiles mancuniennes. Ronny ne faisait pas partie de ce genre de joueurs capables de se mettre en avant, de devenir le héros sur lequel l'équipe se repose lors des passages à vide. Mais le Norvégien était ce genre de joueurs qui cherche avant tout à faire briller l'équipe dans son ensemble, un travailleur acharné dont les valeurs sont tournées vers l'altruisme, le collectif, le partage et la générosité. Le genre de coéquipier que l'on aime avoir. C'est en effet un état d'esprit irréprochable qui pourrait qualifier le mieux Ronny Johnsen. Et toujours un sourire et un plaisir de porter le maillot rouge qui se dégageait du bonhomme. Johnsen aura été extrêmement précieux lors de ses trois saisons passées à United. Précieux tout d'abord par ce formidable état d'esprit. Mais aussi précieux par une polyvalence ô combien essentielle. En effet, si l'axe de la défense semblait une position qui lui convenait, le grand gaillard pouvait aussi évoluer un cran plus haut, au poste de milieu de terrain défensif. D'un précis défenseur il se muait alors en formidable râtisseur. Le Norvégien aura même commencé sa carrière en tant qu'ailier, c'est dire sa polyvalence !

Ces différents postes occupés au cours de sa carrière ont permis à Johnsen d'acquérir une véritable polyvalence dans les aptitudes. Ce n'était peut-être pas l'expert défensif qu'était Stam. Mais le numéro 5 était un défenseur très complet : rapide, très bon dans les airs (avec son mètre 87), solide, engagé, et un tacleur chirurgical. Ajoutez à cela une superbe qualité de relance, et on obtient alors un excellent défenseur, capable aussi d'inscrire quelques buts. Dès sa première saison, en 1996-97, il dispute déjà 37 matchs avec l'équipe. Une belle affaire, pour ce solide garçon arrivé de Besiktas pour 1.2 millions de livres. Le nouveau venu devient un élément important dans le dispositif de Ferguson, sa polyvalence est un formidable atout et aide l'équipe à remporter le titre de champion d'Angleterre, à l'issue de la saison. Rebelote la saison suivante, ou presque. Johnsen est encore impliqué dans un bon nombre de matchs (28 pour 4 buts inscrits), mais l'équipe ne peut faire mieux qu'une seconde place au classement, derrière Arsenal.

Vient ensuite la plus grande saison que le club ait connue, la plus grande saison que Johnsen ait disputé sous les couleurs mancuniennes et sa plus aboutie. Avec l'arrivée du monstre Stam à ses côtés, Johnsen dispute 30 matchs avec les Red Devils. Sa contribution aux 3 succès mancuniens de cette formidable saison est évidente. Son entente avec Stam, devant un gardien de la trempe de Schmeichel, offre aux supporters un trio unique en son genre de par sa qualité. Et ses performances sur la scène européenne sont juste impressionnantes. Une question vient alors à l'esprit de tous : comment Johnsen, alors si indispensable au bon fonctionnement et au bon roulement des dispositifs de Ferguson, n'a pu au final disputer qu'une petite centaine de rencontres sous les couleurs mancuniennes ?

Malheureusement, le Norvégien avait un défaut. Un véritable parasite qui l'a complètement mis hors des pelouses au lendemain du Treble (il ne disputera que 2 matchs au cours de la saison 1999-2000) : les blessures. C'est comme les groupies, on a toujours l'impression qu'elles s'intéressent aux mêmes personnes, qu'elles ne les lâchent jamais, qu'elles s'acharnent sur elles. Je ne sais pas si Johnsen avait des groupies... Mais des blessures, il en a connues. Un véritable colosse au pied d'argile, ou plutôt au genou d'argile, car c'est au genou qu'il aura connu les pépins les plus contraignants de sa carrière. L'âge pèse de plus en plus sur ses jambes fragiles, aussi Johnsen ne disputera plus que 36 matchs au cours de ses 3 dernières saisons avec le club. Il quitte le navire rouge en 2002, à 33 ans, pour rejoindre Aston Villa. Sa carrière n'est pas terminée pour autant, il la terminera paisiblement à la maison, en Tippeligaen, où il évoluera avec le club de Valerenga jusqu'à ses 39 ans.

J'avais évoqué les joueurs qui passent silencieusement dans le couloir des trophées de United. Johnsen en aura fait partie. Mais ce ne sera pas un silence de jalousie ou de honte, comme pour beaucoup d'autres. C'est un silence de nature, pour un garçon dont on aura si peu entendu parler au cours de son passage à United. Mais les photos du Norvégien brandissant fièrement la Coupe aux Grandes Oreilles sont bien là. Les succès aussi : en 6 ans passés au club, il aura remporté 8 compétitions avec le club, dont 4 titres de champions consécutifs, et une Ligue des Champions. Les souvenirs des supporters lors de cette fameuse soirée restent immuables. Et peut-être que certains auront en tête que Johnsen était bel et bien présent à cette époque, et surtout très important dans cette conquête du titre. Il le mérite.

Jaap Stam :

Si Johnsen a quitté United sans bruit, Jaap Stam aura lui créé un véritable boucan lors de son départ en 2001. Mais plutôt que de commencer par son départ, on débutera par son arrivée, c'est mieux. Stam rejoint l'équipe de Ferguson en 1998, en provenance des Pays-Bas et du PSV Eindhoven, pour la "modique" somme de 10.75 millions de livres. Tout simplement le défenseur le plus cher de l'époque. Inutile de préciser que les attentes placées en ce défenseur de 26 ans déjà bien aguerri sont grandes. Et elles seront satisfaites. Car Stam, dès sa première saison, devient le meneur de la défense centrale mancunienne. Il dispute 50 matchs lors de cette saison du triplé, et inscrit un but. "Jip Jaap Stam is a big Dutchman" résonne alors dans les travées d'Old Trafford, le Néerlandais est adulé par le peuple mancunien.

Il faut dire que l'adaptation du géant au jeu anglais n'a pas mis beaucoup de temps. Stam, c'est la puissance incarnée. Un cyclope d'un mètre 91. Rien ni personne ne pouvait faire dresser les cheveux de Stam. Parce qu'il n'en avait pas beaucoup déjà. Parce qu'il n'avait peur de rien ensuite. Mais comparer Stam à un simple bourrin, à un simple monstre, ce serait très réductif. La réalité est tout autre. Jaap Stam, c'est typiquement le genre de joueur qui aura poussé la rigueur défensive jusqu'à son paroxysme. Une rigueur physique bien évidemment, mais aussi une rigueur tactique. Alliée à sa puissance naturelle, à sa maîtrise du geste défensif, à son agressivité, à sa lecture du jeu et à son jeu aérien fantastique, on obtient naturellement un joueur taillé pour le championnat anglais. Mais qui aura également fait un passage plutôt réussi en Italie, pays où les défenseurs sont rois. Et en plus de ça, il n'aimait pas Vieira. Pour un Mancunien, c'est le genre de joueur rêvé !

Plus qu'un simple monstre, Stam était un véritable guerrier, qu'aucun attaquant aimerait se coltiner dans son dos tout au long d'une rencontre. Le duel entre un attaquant et un défenseur, c'est comme le combat entre un prédateur et sa proie, il ne peut en rester qu'un, et c'est toujours le prédateur. Stam n'avait pas pour habitude de se laisser dévorer par son vis à vis, c'était un véritable prédateur de la défense, qui s'attaquait sans relâche aux malheureux imprudents qui pénétraient dans son aire de chasse : la surface de réparation. Le géant chauve s'impose naturellement comme le meneur de la défense mancunienne, et comme un des tous meilleurs défenseurs du championnat, voire du monde entier.

Au cours de la saison suivant le Treble, Stam dispute 51 rencontres, dont la plupart aux côtés de Mickael Silvestre (le pauvre !), puisque Johnsen est alors vilainement blessé. Ce qui n'empêche pas United de remporter le titre de champions d'Angleterre, et Stam celui de meilleur défenseur UEFA de l'année (en 1999 et en 2000). De 1999 à 2001, le Néerlandais est au sommet de son art, au sommet de l'art défensif en général. En à peine deux saisons, il a déjà tout remporté avec le club, été adopté et adulé par les supporters, apprécié de ses coéquipiers, reconnu par la planète football, et estimé par son entraîneur. Ferguson le déclarait alors, la composition de sa défense centrale ne lui posait pas énormément de soucis, même sans Johnsen. "Ce sera toujours Jaap Stam ET un autre joueur". Plus rien ne semble donc pouvoir arriver pour celui qui a mis le peuple rouge, comme les attaquants adverses, à ses pieds. Mais en football, tout est possible. Et en un peu plus d'une saison, la situation de Stam à United va basculer.

La saison 2000-01 n'est pas la plus paisible que Jaap aura connu avec le club. Une mauvaise blessure au tendon d'Achille le tient éloigné des terrains pendant une bonne partie de la saison. Pâris a décoché sa flèche, et celle-ci est venue se loger dans le talon de l'invincible Stam. Le géant est à terre, et disputera 22 matchs cette saison, ce qui est ridicule en comparaison de son apport jusque là. Mais le club peut faire sans son colosse, United remporte une nouvelle fois le titre de champion à l'issue de cette saison. Vient ensuite la fameuse affaire de la biographie... Car ce qui aura porté préjudice à Stam, ce sont ses qualités qui lui auront permis d'être porté au rang d'idole du public. Une agressivité, un franc parler, une honnêteté, tant de caractéristiques que l'on retrouve dans son autobiographie Head to Head. Stam n'hésite pas à critiquer ses coéquipiers et son entraîneur. Ferguson s'est alors défini comme "incandescent with rage", et Stam apprend à son détriment qu'aucun joueur, pas même l'un des plus talentueux qui ait pu passer par ici, ne peux se dresser en face du club. Personne ne connaîtra la vérité de l'histoire, mais Stam est vendu à la Lazio à l'aube de la saison 2001-2002 pour 16 millions de livres. Une déception et un sentiment d’amertume envahissent le défenseur, qui a loyalement accepté son sort. A l'époque, Ferguson expliquait cette vente par une mauvaise récupération de son défenseur après sa blessure. Aujourd'hui, l'Ecossais reconnaît qu'avoir vendu Stam aura été l'une des plus grosses erreurs de sa carrière d'entraîneur. Quand un bonhomme qui conduit son club depuis 25 ans maintenant déclare ça, c'est que vous l'avez marqué, et que vous avez marqué l'histoire du club. Aucun doute là dessus pour le Big Dutchman, il restera indéniablement l'un des tous meilleurs défenseurs de l'histoire du club. Tout simplement.

Au final, quand on lit un pavé comme celui figurant plus haut, on remarque deux choses : qu'on en a marre, et que Stam et Johnsen n'auront en fait évolué ensemble à leurs meilleurs niveaux qu'une seule saison. Entre le sulfureux Néerlandais et le fragile Norvégien, il ne pouvait pas se construire quelque chose de durable, c'était écrit. Mais pas besoin de nombreuses saisons pour marquer l'Histoire du club. Une seule aura suffit, et quelle saison ! Au sommet de leur art, les deux hommes auront formé une formidable association. Imprenable dans les airs, experte dans le geste défensif, précise à la relance, puissante et rapide, cette défense aura émerveillé l'Europe entière, le temps d'une saison. Un modèle du genre. J'avais comparé les défenseurs aux racines et aux tiges d'une plante.

Avec Stam et Johnsen, devant Schmeichel, nul doute que l'on avait là le système racinaire et caulinaire qui aura permis à la plante mancunienne de se hisser aux sommets de l'Europe. Malgré l'éphémérité de cette superbe association, personne n'oubliera la splendeur de cet arbre en cette année 1999. Peut-être l'arbre qui cache la forêt d'autres associations merveilleuses à venir ? On l'espère. Et en s'engouffrant un peu plus loin dans cette forêt mancunienne, on tombe en face d'une autre formation, tout aussi splendide. Un arbre au tronc gigantesque, sur lequel est gravé "Vidic-Ferdinand".

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