Manchester United : Une Histoire de défense (Partie 3)

Ouais, je sais. Le Barça nous a déjà donné une leçon en deux finales de Ligue des Champions. Et pas plus tard que la saison passée. Donc le village d'irréductibles Mancuniens, il ne résiste pas tant bien que ça à l'envahisseur. M'enfin, on appréciera l'intro et la référence cultissime. Et c'est donc dans ce petit village que l'on rencontre les deux héros qui feront l'objet de cette troisième et dernière partie de ma chronique sur les grandes associations défensives de United. Le premier s'appelle Ferdix. Grand guerrier à l'esprit malin, à l'intelligence vive, toutes les missions périlleuses lui sont confiées sans hésitation. Ferdix tire sa force surhumaine de la potion magique du druide du village, Fergix. Il est accompagné de son fidèle compagon, Vidix. Livreur de tampons et arracheur de jambes de son état, grand amateur de Drogba rôti, Vidix est tombé dans la marmite du druide Fergix étant petit. C'est de là qu'il tire une puissance considérable et continuelle.

NEMANJA VIDIC - RIO FERDINAND (2006-le plus loin possible)

Après cette petite mise en bouche bien sympathique, je vais vous présenter la paire de défenseurs centraux qui nous aura émerveillés ces dernières années. Mais est-ce d'ailleurs bien utile de la présenter ? Vidic-Ferdinand, c'est 4 titres de champions d'Angleterre, une Ligue des Champions, 2 Carling Cup. Et une régularité effarante au plus haut niveau, une référence mondiale, certainement la meilleure association défensive de son temps, avec l'incroyable Van der Sar derrière ces deux là. La mythique association que formaient Bruce et Pallister semble renaître à travers ces deux hommes. Vidic a succédé à Bruce, Ferdinand à Pallister. Nemanja et Rio, c'est un peu comme le steak et les frites, le whisky et le coca, le marteau et le clou, le requin et le rémora, Terry et la femme à Bridge : leur association était inéluctable de par leur complémentarité évidente. Deux pièces de puzzle, parfaitement complémentaires l'une à l'autre, inévitablement emboîtables. On obtient ainsi un modèle de défense centrale : équilibrée, puissante et souveraine, véritable forteresse imprenable dans les airs. Une défense qui aura largement participé à la reprise de la couronne, outrageusement monopolisée 3 saisons par les Blues de Chelsea...

Rio Ferdinand :

C'est en 2002 que Rio Ferdinand rejoint United. Les attentes envers ce joueur de 24 ans sont immenses, tout comme le prix que Manchester devra donner à Leeds United pour s'attacher ses services : £ 29.1 millions. Record absolu pour un défenseur, et également pour un joueur Anglais, jusqu'au recrutement de Carroll par Liverpool (qui a parlé d'arnaque ?). Rio fait partie de ces défenseurs à l'élégance rare, à la maîtrise absolue, au calme déconcertant, au sang-froid à toute épreuve. Cette classe balle au pied, cette technique, cette précision, cette aisance, Rio la tient depuis son enfance et ses premiers touchers de balle. Celui pour qui Maradona était une idole absolue a commencé le football au poste de … milieu de terrain offensif ! Ce n'est qu'en observant son physique avantageux que ses entraîneurs de l'époque l'ont repositionné bien plus bas sur le terrain, en défense centrale. Pari gagnant.

Le numéro 5 devient, dès sa première saison au club, une pièce maîtresse de la défense mancunienne, en disputant pas moins de 46 rencontres. United est sacré champion. Mais la saison suivante est beaucoup plus compliquée pour lui et pour le club. C'est l'affaire du contrôle anti-dopage, et de l'absence inexpliquée de Ferdinand à ce contrôle, ce qui lui vaudra 8 mois de suspension. Et ce qui coûtera aussi très cher à l'équipe, qui perd son meneur en défense. United est submergée par les invincibles Gunners de Thierry Henry cette saison là, puis par les Blues du ploutocrate Abramovitch la saison suivante (2004-05). United connaît des années difficiles, stériles. Balayée par l'hégémonie achetée à coups de millions par les Blues, l'équipe mancunienne connaît des difficultés dans tous les compartiments du jeu. Aussi bien offensivement, avec une animation offensive et une maîtrise du jeu en perdition, que défensivement, avec les difficultés que rencontrent certains cadres tels que Rio, pas aidés par une doublette Howard-Carroll alors "au sommet de son art", si je puis dire (pour plus d'infos sur ces années noires, lire la chronique de Doraibu).

On garde tout de même de Ferdinand l'image d'un défenseur fort, souverain, et surtout très intelligent. Rio n'a pas besoin de se risquer à un contact rugueux, de s'employer à un tacle audacieux, il cherche juste à contrecarrer le mouvement de son opposant, à lui subtiliser le ballon proprement. Il ne fonctionne pas à l'intimidation, mais à l'anticipation. Toujours sur ses deux pieds, très rarement au sol, Ferdinand incarne à merveille un modèle de défenseur qui se veut propre, précis et efficace. Mais peut-être que cette stratégie défensive n'est que le résultat d'une adaptation. A vrai dire, si Ferdinand évite l'impact, c'est aussi parce qu'il ne dispose pas du corps adéquat, fait qui devient de plus en plus marquant avec l'âge. Véritable colosse aux pieds d'argile, le défenseur aura connu, tout au long de sa carrière, des problèmes physiques récurrents. Ce qu'il faut à Rio, c'est un gars capable de s'imposer dans les duels, un véritable guerrier qu'il n'aura plus qu'à couvrir grâce à sa lecture du jeu exceptionnelle.

Ce gars arrive au début de l'année 2006, au mercato hivernal de la saison 2005-06. Un sinistre inconnu, venant tout droit des mystérieux championnats de l'Europe orientale. Chelsea, l'Angleterre et l'Europe toute entière, ne sont plus qu'à quelques portées de United. Mais qui l'aurait parié à l'époque ?

Nemanja Vidic :

C'est donc au cœur de l'hiver 2005-06 que Vida rejoint United, en provenance du Spartak Moscou, moyennant une indemnité de £7 millions. Pourtant, les mercatos hivernaux à United sont habituellement aussi animés que les commentaires de Jacques Santini... Mais cette saison là, le club va réaliser un gros coup (même deux, puisque Patrice Evra pose aussi ses bagages du côté d'Old Trafford au cours de ce même hiver). Rien ne laisse présager une telle réussite du Serbe du côté de l'Angleterre, et le numéro 15 ne dispute qu'une dizaine de match au cours d'une saison qui voit une nouvelle fois le sacre des Blues de Chelsea. Mais dès la saison suivante, Vidic s'impose au cœur de la défense centrale, et se trouve un partenaire de jeu idéal avec Ferdinand. Le jeu du Serbe est fin comme du gros sel... Mais diablement efficace. Il démontre à l'Angleterre sa puissance stratosphérique, aussi bien au sol que dans les airs. Son goût pour le contact, sa témérité, son engagement, sa volonté, son courage, son agressivité...il n'en faut pas plus pour enchanter le public du Théâtre des Rêves, qui se mue alors en véritable arène dans laquelle Vidic est un gladiateur acclamé par la foule. Et la présence du Serbe semble grandement soulager son coéquipier de la défense, Ferdinand, qui peut laisser s'exprimer toutes ses qualités de libéro, en couverture du guerrier devant lui.

Vidic dispute alors 25 matchs en Premier League au cours de cette saison 2006-07, et réussit parfaitement son adaptation à ce championnat, pour lequel il semble de toute évidence taillé. Sa complicité avec Ferdinand, en qui il trouve les qualités techniques et tactiques qui comblent ses propres lacunes, se fait grandissante. United commence à se trouver une nouvelle défense, avec sur le côté gauche l'émergence d'Evra, et dans les buts la sérénité inébranlable de Van der Sar. Les Red Devils finissent enfin par remporter un titre de champion qui leur échappe depuis 3 saisons. Mieux : la saison suivante, United récidive en championnat, et remporte la troisième Ligue des Champions de son histoire en finale face à Chelsea, avec, en prime, Anelka et Terry qui échouent dans l'exercice crucial des tirs aux buts. Le rêve quoi ! Beaucoup s'accordent alors à dire que ce doublé mémorable est le point de départ d'une des plus grandes charnières centrales que United ait connue. Et en effet, on peut considérer l'association Vidic-Ferdinand comme au sommet de son art au cours de cette période.

Cette défense va élever United au sommet de l'Angleterre quelques saisons durant. La saison 2008-09 est marquée par ce formidable exploit défensif et ces 14 clean sheets consécutifs en Premier League. United remporte aisément le championnat, mais ne peut réaliser un second doublé en s'inclinant 2-0 en finale de la Ligue des Champions face au FC Barcelone (à court de potion magique peut-être?). Les trois dernières saisons de Nemanja et du club ont été un peu plus compliquées, avec un titre de champion à l'issue de la saison 2010-11, et une nouvelle finale de Ligue des Champions toujours perdue face au Barça. Si on devait retenir 3 faits marquants pour Vidic au cours de ces 3 saisons, ce seraient sa nomination en tant que capitaine dès la saison 2010-11, succédant au légendaire Gary Neville ; son but à Old Trafford face à Chelsea cette même saison, qui préfigure une victoire 2-1 capitale pour la conquête du titre ; et sa rupture des ligaments du genou face à Bâle, lors d'un match cauchemardesque qui verra United sortir prématurément de la Ligue des Champions au cours de la saison 2011-12 (snif).

Finalement, si je devais donner un exemple pour illustrer au mieux l'association entre Vidic et Ferdinand et le contexte dans lequel elle s'est formée, je donnerais celui de la guerre de Troie. Dès la saison 2003-04, le titre de champion, Hélène, fuit les beaux gosses de United (Ferdinand, Gary Neville, Carroll, pour ne citer que les plus beaux) pour ceux de Arsenal (Lehmann, Sol Campbell) et ensuite de Chelsea (Terry, Duff, Gallas). La belle affaire. Dans la mythologie grecque, c'est la fuite de la ravissante Hélène chez les Troyens et Pâris qui va déclencher la guerre de Troie entre Grecs et Troyens (c'était la minute culturelle de cette chronique, merci de votre attention). Ici, la situation est la même, et Ferguson, chef de l'armée grecque, prépare ses troupes pour récupérer sa promise derrière les remparts Londoniens. Si j'avais dû comparer Ferdinand à un guerrier de cette armée grecque, ça aurait été Ulysse, pour sa malice, son intelligence, sa ruse, sa capacité d'anticipation. Si j'avais dû comparer Vidic à un guerrier de cette armée grecque, ça aurait été Achille, pour son invincibilité apparente, son courage, pour la terreur qu'il inspire dans les rangs ennemis, pour sa pugnacité inégalable. Sauf que, contrairement à Achille, le point faible de Vidic ne semble pas être le talon, mais plutôt le genou... Pour la petite histoire, Troie a été assiégée grâce à ces deux héros de l'armée grecque, mais Achille fut vaincu d'une flèche en plein talon. Parallèle tristement sympa avec la situation actuelle et un Vidic convalescent...

Si United s'est contruite autour de génies offensifs capables de faire basculer un match, elle s'est aussi construite à partir de défenses imperméables. Aujourd'hui, nous espérons tous pouvoir admirer, une dernière fois, la magnificence de la paire Ferdinand-Vidic. Peut-être la saison prochaine. Mais n'ayons aucune crainte, Ferguson a déjà recruté de nouveaux guerriers pour son armée qui ira assiéger les murs de l'Etihad Stadium, et ceux de tous les futurs opposants du club. Dans l'ombre de légendaires combattants, Evans, Jones, Smalling et les autres se préparent, s'arment, s'entraînent. Nul doute qu'eux aussi participeront au siège de Troie, et peut-être que United tient en ces jeunots sa future association défensive, certainement la dernière que Ferguson mettra en place, avant de se retirer de cette interminable bataille. On y croit.


"Il y a différents types de défenseurs centraux en Barclays Premier League, aujourd'hui, mais Vidic et Rio n'ont pas d'équivalent." Lou Macari