Interview : Patrice Evra
Après six premiers mois difficiles à Manchester United et deux ans sans équipe de France, Patrice Evra fait son retour parmi les Bleus pour affronter la Grèce mercredi. Le latéral gauche savoure cette deuxième chance car il a dû mettre les bouchées doubles pour revenir. Désormais, il compte rester. Téléfoot.fr l'a interviewé.
Patrice Evra, vous êtes de retour en équipe de France deux ans après votre dernière sélection. Etes-vous heureux ?
Patrice : Ça fait du bien. J'ai l'impression de refaire le même métier que mes coéquipiers de Manchester United. Durant les semaines internationales quand on est pas sélectionné, on se retrouve à deux à l'entraînement, on joue beaucoup au ping-pong...
Revenir en équipe de France aujourd'hui doit être particulier. Vous avez fait partie du début de l'aventure Domenech avant de disparaître...
Patrice : Quand j'ai débuté en équipe de France, tout était trop facile. C'était logique. Avec Monaco, on sortait d'une finale de Ligue des Champions et j'étais dans un fauteuil. Tout allait dans mon sens. Là, c'est différent, je savoure. Je suis content car j'ai beaucoup appris sur moi durant ces deux ans et notamment lors de mes six premiers mois à Manchester. Je suis plus costaud aujourd'hui.
Vous avez dû vous remettre en cause à votre départ de Monaco ?
Patrice : J'ai en tout cas fait plus de sacrifices. La vie à Manchester est totalement différente de Monaco. Je suis resté six mois à l'hôtel sans parler la langue. Avant mon premier match, le derby face à City, on m'a servi des pâtes et du bacon à 9h30. J'ai tout vomi. Lors de la rencontre, je me souviens d'un corner, ça allait à 100 à l'heure. J'ai vu la différence avec la France qui a un championnat plus technique. Après cela, on m'a enterré mais je n'ai jamais douté. J'ai manqué la Coupe du monde et je me suis dit : "Si tu rebondis pas maintenant, tu resteras dans le trou".
Pendant ce laps de temps, avez-vous regretté d'avoir signé à Manchester ?
Patrice : Non. Ces six mois, si je ne les avais pas faits, je ne serais pas là aujourd'hui. Il fallait que je m'adapte. Alex Ferguson ne m'a jamais engueulé. Les anciens me disaient tous qu'il était normal que je peine au départ. Mikaël Silvestre et Louis Saha m'ont aussi aidé. Au début, je pensais qu'ils disaient ça pour me réconforter. Mais en fait, c'était vrai.
Quand avez-vous compris que vous ne disputeriez pas la Coupe du monde 2006 ?
Patrice : A Manchester United, comme je ne jouais pas, je savais que je ne pouvais pas postuler à une place en équipe de France. J'ai évidemment été très déçu et j'ai pris une bonne gifle. J'étais seul dans mon coin mais je me suis dit que je ne pouvais pas me laisser aller. J'ai beaucoup bossé en salle de musculation.
C'est la clé de votre bon début de saison ?
Patrice : Oui. J'ai fait une bonne préparation. J'ai fait de la musculation. Je ne le faisais jamais. En Angleterre, il faut être avant tout costaud. Après, tu peux jouer au ballon. En Ligue 1, c'est différent. Tu récupères le ballon, tu as du temps pour repartir. En Premiership, tu as vite un attaquant sur le dos, prêt à te tacler. L'impact et l'engagement sont plus importants.
Après une bonne entame de championnat, cette convocation en équipe de France vous paraît donc méritée ?
Patrice : Oui. Il faut dire que je m'y attendais un peu. Le travail paie. Mais le plus dur reste à venir car je ne me sens pas encore international. Pour l'être, il faut au moins trente sélections.
Aujourd'hui, vous redécouvrez l'équipe de France dans des conditions différentes de celles de 2004 ?
Patrice : Oui. Avant, il était facile d'y entrer, aujourd'hui je le fais dans la difficulté. A l'époque, c'était beau, tout allait bien avec Monaco. Après, ne pas être resté dans le groupe m'a fait trop mal.
Pensez-vous qu'il y ait une place à prendre sur le flanc gauche alors qu'Eric Abidal est devenu le numéro un ?
Patrice : Je vis la concurrence en club. A chaque entraînement, je dois prouver que je mérite ma place aux dépens de Silvestre ou Heinze. A moi de faire pareil en équipe de France. Mon nom est dans la liste. Il me reste à prouver que j'ai le niveau. En ce qui concerne Eric Abidal, je n'ai pas pour habitude de regarder les performances des autres. Mais il est vrai qu'à Monaco, il était le troisième latéral. Aujourd'hui, il est le numéro un en équipe de France. La roue tourne vite.
On vous sent philosophe et épanoui aujourd'hui. A tort ?
Patrice : Je suis un privilégié. Jouer à Manchester United, c'est formidable. Ce club et ses fans ont la culture de la gagne. A Manchester, même un nul est considéré comme une défaite. On va bientôt affronter Chelsea, si l'on perd, le coach nous dira qu'on est des moins que rien. A Monaco, je me souviens qu'un match nul à l'extérieur était considéré comme un bon point... Pour ce qui est de la vie anglaise, j'ai plus de mal. Ma famille aussi. Et je ne vous parle pas de la nourriture... A mon arrivée, j'ai eu la diarrhée pendant un mois. Heureusement, le club fait oublier tout cela.
Vous nous avez parlé de Monaco. Que pensez-vous de la situation actuelle sur le Rocher ?
Patrice : Le ressort est cassé depuis la finale de la Ligue des Champions 2004. A l'époque, les dirigeants avaient laissé filer Morientes car il était trop cher. A l'arrivée, ils ont recruté des joueurs trois fois plus coûteux. Rothen est parti de son plein gré, Giuly a été transféré dans le dos de l'entraîneur. Quand tu vois Lyon se balader aujourd'hui, ça en devient quasiment ridicule d'autant qu'on avait les moyens de rivaliser.