Premier miracle, il y a 50 ans

Le 27 décembre 1959, Sir Alex Ferguson n’avait que 17 ans. Il était avant-centre au Queen's Park FC, l’un des clubs écossais les plus anciens, fondé en 1867, et le seul club des 4 divisions écossaises à se maintenir dans un registre amateur, reflété à travers les paroles en latin écrites sur son écusson : "Ludere causa ludendi" – jouer pour le plaisir de jouer. Nous étions donc en 1959 et c’était un jour de championnat en première division écossaise...


"J'en avais assez de ne pas jouer en équipe première et de jouer dans la réserve, depuis mon retour de blessure. Dans les deux matchs où j’ai joué, la désillusion fut bien plus psychologique que physique, car nous avions subi deux déroutes monumentales : le 10-1 contre le Celtic et le 11-2 contre Dunfermline. Alors, le matin du 20 décembre, un vendredi, j'ai décidé de ne plus jamais jouer en réserve, ce qui voulait dire manquer le prochain match contre les Rangers, mon club de cœur. Ainsi, six jours plus tard, j’avais demandé à Joan Parker, la petite amie de mon frère, de téléphoner à Bobby Brown (l'entraîneur de Queen's Park), en se faisant passer pour ma mère, et de lui dire que j’étais grippé."

"A la fin de la journée de ce vendredi là, j’avais quelques remords d’avoir utilisé Joan... Mais cela n'était rien, comparé à ce que j'ai entendu lorsque je suis rentré chez mes parents. Les remords sont passés au second plan. Mon père avait une tête des mauvais jours, mais ce n’est pas lui qui m’a engueulé devant tous mes frères et leurs petites amies. Étonnamment, c'était ma mère qui a pris la parole et qui m’a jeté à la figure le télégramme de Bobby Brown qui disait juste ceci : 'Appelles-moi immédiatement'. 'Que dois-je faire ?', ai-je demandé à ma mère. Cette fois, ce fut mon père qui prit la parole : 'Maintenant, tu vas à la cabine téléphonique la plus proche, tu appelles ton entraineur et tu lui demandes pardon sinon, tu ne mettras plus jamais les pieds ici.'"

"Ça s’est déroulé comme ça et encore aujourd’hui, je me rappelle où vivait Bobby Brown, parce que j’ai dû demander à l'opérateur de m'établir la liaison téléphonique. Quand Bobby a compris que c’était moi en ligne, il m’a juste dit 'Comment peux-tu me faire ça, à la veille d'un match important ? Je sais que ce n'était pas ta mère et j’ai cinq joueurs qui sont réellement grippés. Viens à l'Hôtel Buchanan à midi pour la préparation. Le match est à trois heures.'"

"Ok, l'appel téléphonique s'est bien passé"
, ai-je pensé. Je ne me suis pas fait engueuler. Je n’ai pas pris d’amende et je n'ai pas été suspendu. Et en plus, j'ai gagné, ou plutôt, il semblait que j’avais gagné une place en équipe première pour le match chez les Rangers. Sur le chemin du retour chez moi, j’ai dû faire des efforts pour cacher un sourire espiègle de joie et de triomphe. A la maison, je n’ai pas eu à me forcer parce que mes parents étaient encore bouleversés et en colère. S’en est suivi un interrogatoire interminable. Il ne s'est arrêté que lorsque je suis allé me coucher."

"Le lendemain, je me suis réveillé soulagé et de bonne humeur. Mon père non. Quand je l'ai invité à venir regarder le match, il m’a répondu 'peut-être' de façon sèche. Puis, j'ai quitté la maison, je me suis rendu à la banque, j’ai retiré 80 livres pour acheter un manteau que j’avais commandé chez un tailleur que je connaissais bien, je me suis rendu à l'Hôtel Buchanan et là, j’ai réalisé que j’allais être titulaire. Deux billets supplémentaires me garantissaient une place dans le onze titulaire. En entrant dans le stade Ibrox, j'ai été stupéfait de voir mon père, accompagné d'un autre homme, qui n'était autre que le propriétaire de la banque. Il semble qu'un employé s’était trompé dans les comptes et qu’il avait passé son samedi à contacter les clients qui avaient retiré de l’argent dans la journée. J'étais l'un d'entre eux, mais cette fois, je n’étais pas concerné. Après avoir résolu ce problème, j'étais seul avec mon père. Après un long silence, je lui ai demandé : "J'ai deux billets. Vous voulez en profiter ?". Il a répondu : 'Peut-être oui, je n'ai rien d’autre à faire.' Cela m’a grandement satisfait. Personne ne peut imaginer à quel point!"

"Ce qui s'est passé cet après-midi à Ibrox ne peut apparaître que dans la catégorie des miracles : j’ai marqué un triplé, le premier joueur à le faire contre les Rangers à Ibrox! Ce fut même la première victoire du FC Queen's Park là bas. Un natif de Glasgow, né et élevé à 200 mètres de ce stade, a marqué trois buts contre les Rangers, l'équipe de sa vie - il n'y a pas de mots pour décrire ça. Du match en lui-même, je m'en souviens parfaitement."

"A la mi-temps, nous perdions 1-0 grâce à un but de George McLean. En ce temps, l'entraîneur ne se rendait pas dans les vestiaires pour sermonner ou encourager les joueurs. Ce travail appartenait aux joueurs plus âgés comme Ron McKinven, Little Jim et Jimmy Walker, qui ce jour là, conseillaient aux plus jeunes, comme moi, qu’il fallait croire en un résultat positif. Moi, gamin, je croyais en ces mots. Et je me suis senti bien, très bien. Je suis rentré sur le terrain avec la volonté de faire de belles choses. Au début de la deuxième période, j’avais déjà donné beaucoup de travail à Ronnie McKinnon qui était obligé de s’accrocher à mon maillot et à mon short pour m’arrêter. Puis, j'ai pensé que nous pourrions faire l'histoire. Sur l’action suivante, j’ai marqué le but de l’égalisation. J’ai du m’y prendre à deux fois, ma première tentative ayant vu ma frappe du droit contrée par le pied McKinnon. Mais le ballon m’est revenu et là, j’ai tiré du gauche. Le délirant 2-1 est arrivé dix minutes plus tard, quand j'ai profité d’un mauvais placement en défense de Bill Ritchie."

"Incroyable! Superbe! J'ai trouvé la barre transversale et le ballon est rentré. Mais les Rangers, comme toujours, et sans trop savoir comment, marquèrent le but de l’égalisation à 2-2. A 12 minutes du coup de sifflet final, nous avons porté le coup fatal : après une confusion dans la surface de réparation, j’ai tiré dans le but vide. C’était fait. Ce 3-2 aurait pu se terminer différemment si l’une de mes frappes n’avait pas atterri sur la barre transversale. Mais trois buts, c’était déjà très bien. Dans les vestiaires, un de mes coéquipiers senior s’est tourné vers moi et m’a demandé : 'Est-ce que tu te rends compte qu’aujourd’hui, tu as marqué l’Histoire ?'"

"J’ai pris une douche, puis je suis rentré chez moi, à 200 m du stade des Rangers, une petite rue où un journaliste, Joe Hamilton de son nom, du Daily Express, a obtenu ma seule déclaration de ce jour glorieux. A la maison, ma mère s'est montrée très heureuse de mon travail. Mon père, lui, était assis sur le canapé et lisait le journal. Quand je lui ai demandé ce qu'il avait pensé du match, il m’a dit : 'Ok. Qu'est-ce que je t’ai déjà dit sur les frappes au but ? Si tu ne frappes pas, tu ne marques pas !' Je ne sais pas combien de fois j'ai entendu ça dans ma vie!"


Le reste est connu. Ou peut-être pas. Sir Alex Ferguson a également joué pour St. Johnstone à Dunfermline, les Rangers, Falkirk et Ayr United. Il a été double champion de la deuxième division écossaise en 1963 (St. Johnstone) et en 1970 (Falkirk). Il a marqué 214 buts en divisions écossaises, fut sacré meilleur buteur en 1966 avec 31 buts, sous le maillot de Dunfermline. En juin 1974, il a raccroché les crampons et a débuté sa carrière d'entraîneur. Et là, débute une nouvelle histoire...

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