Interview : Sir Alex Ferguson

Comme chaque mois, notre manager préféré se confie dans une interview pour le magazine du club Inside United. L'occasion pour lui de revenir sur un début de saison étonnant.


Les supporters en ont plutôt eu pour leur argent en terme de stress et de spectacle lors de ces premières semaines de la saison, n'est-ce pas ?

Oui, mais ils n'auraient pas dû assister aux thrillers d'Everton et Fulham. A Craven Cottage, nous avons manqué un penalty à trois minutes de la fin du match, ça aurait fait 3-1 et le match aurait été plié. On a jeté deux points à la poubelle là-bas. Et ce fut encore pire à Everton, où nous avons concédé deux buts dans les arrêts de jeu. C'est impensable !

Encaisser des buts en fin de match n'est pas une chose habituelle pour les Red Devils ? Etait-ce aussi choquant pour vous que ça le fut pour les supporters ?

Ca ne nous ressemble pas de concéder des buts comme de la sorte. Cette équipe ne met pas ses adversaires au tapis comme elle le devrait, c'est un point que j'aimerais améliorer. A Goodison, nous avons eu trois ou quatre occasions à 3-1 de tuer définitivement le match, mais nous les avons gâchées et en avons payé le prix. C'est cet instinct de tueur qui manque pour le moment et il faut qu'on y travaille. Cela dit, nous n'avons aucun souci à trouver le chemin des filets. On en a mis trois contre Liverpool, Everton et West Ham (et Newcastle aussi), deux à Fulham, trois dans le Community Shield. On n'a pas de mal à trouver le chemin des filets. On n'arrive simplement pas à assommer l'adversaire pour de bon.

Comment comptez-vous régler ça ?

C'est toujours important de retenir les leçons et je suis certain que les joueurs ont appris de ces erreurs. Ils en souffrent autant, si ce n’est plus, que chacun de nous. Ce sont eux qui gaspillent des points et eux qui savent qu'ils sont assez bons pour gagner ce championnat. Ils ne veulent donc pas décevoir. Pendant le match, ceux qui sont sur le bord du terrain, les fans, mon staff et moi, nous ressentons peut-être plus de frustration, mais après le match et pendant les deux jours qui suivent, ce sont les joueurs qui en souffrent encore. Ils n'aiment pas ressentir ça, alors ils vont travailler dur pour éviter de commettre les mêmes erreurs. Les plus grands professionnels, dans n'importe quelle discipline, ont besoin de deux choses : la régularité et la concentration. Ces qualités sont essentielles pour réussir.

Avons-nous déjà atteint le moment où l’on ne peut plus se permettre de gâcher le moindre point ?

Non, non, non. Toutes les équipes vont encore perdre des points, c'est inévitable. Si vous regardez le début de saison de Chelsea, vous auriez prédit ces victoires. La position qu'ils occupent ne m'étonne donc pas. Pendant ce temps, nous avons eu des déplacements risqués à Fulham et à Everton, et nous avons ensuite reçu Liverpool. Ce sont des rencontres difficiles. Liverpool, Arsenal et nous-mêmes avons tous joué des grosses équipes dès le début. Les plus gros tests pour Chelsea sont encore à venir.

Antonio Valencia s'est gravement blessé face aux Rangers. Comment compensons-nous son absence ?

C'est toujours dommage de perdre un joueur mais Antonio était probablement le joueur qui avait fait le plus de progrès lors des 12 derniers mois, ce fut donc un coup dur. Son évolution depuis son arrivée est incroyable. On pensait qu'il lui faudrait deux années pour atteindre ce niveau, mais il a relevé le défi comme un champion. Cela étant dit, nous avons une grande équipe et on se débrouillera. C'est à Nani de se montrer maintenant, il l'a fait de superbe manière cette saison. On a également Gabriel Obertan et le jeune Bébé, qui s'entraînent très bien. On n'est pas trop mal, il y a des options.

Apprenez-vous autant de vos joueurs lors d'une soirée froide à Scunthorpe que lorsqu'ils jouent Liverpool à Old Trafford ?

Absolument. Ces dernières années, nous nous sommes vraiment bien débrouillés en Carling Cup. Et je ne parle pas seulement du fait que nous l'avons remportée plusieurs fois. Nous npus sommes déplacés à Scunthorpe cette saison, à Barnsley l'an dernier, et c'est dans ce genre de conditions que vous apprenez le plus de votre équipe. Nous avons aligné beaucoup de jeunes joueurs en Carling Cup l'autre jour, et ils se sont très bien débrouillés. Cette compétition nous est très utile ; elle me permet de satisfaire tout le monde en terme de matches joués et nous avons atteint les deux dernières finales, ce qui présente des avantages évidents. Jouer des matchs au sommet à Wembley est une aubaine incroyable pour le développement d'un joueur.

Avoir l'expérience de remporter des trophées est une donnée irremplaçable, n'est-ce pas ?

Tout à fait, mais être éliminés dans les premiers tours, comme nous l'avons été face à Coventry ou Southend il y a quelques années, représente également une bonne expérience. On préfère toujours gagner, mais je me souviens de notre défaite à domicile contre Coventry en 2007. Nos gars ont tout simplement oublié qu'il s'agissait d'un match de coupe et la punition pour cette mauvaise performance fut l'élimination. Coventry avait la rage de vaincre et ils méritaient de gagner. Ce fut une bonne leçon qui porte ses fruits aujourd'hui.

Edwin van der Sar, Ryan Giggs, Paul Scholes et Gary Neville approchent tous de la fin de leur carrière. Comment pensez-vous pouvoir remplacer de tels joueurs ?

On ne peut pas les remplacer, pas par des copies conformes. On regarde plutôt des joueurs qui évoluent dans des positions similaires et qui montrent des qualités comparables. Mais on ne trouvera jamais de clones, pas pour ce type de joueur. Quand ces hommes raccrocheront, nous devrons analyser ce qui nous manquera alors et ce qu'il faudra apporter pour garder le même équilibre. Je pense qu'on l'a bien fait durant toutes ces années, et je suis confiant pour l'avenir. Ces gars continuent de défier le poids des années simplement parce qu'ils ont encore l'envie d'être performants et qu'ils soignent tellement bien leur préparation. Il y a deux ans, j'avais pu lire que Ryan et Scholesy jouaient leurs dernières saisons. J'ai ensuite lu la même chose l'an dernier. Maintenant, je pense qu'ils peuvent encore apporter quelque chose pour au moins une année de plus.

Ces dernières années, vous avez dû en avoir assez de devoir répondre à des questions sur Dimitar Berbatov…

Quand vous amenez un joueur à Manchester United, il faut parfois être patient. Chaque joueur transféré ne peut pas être une réussite immédiate. Valencia l'a fait, bien sûr, mais il représente une exception. Les autres ont besoin de temps, et c'était comme ça pour Dimitar. C'est comme ça. Personne n'a jamais douté des capacités du garçon, mais ce qu'on voit aujourd'hui, c'est un attaquant qui croit en lui et qui a confiance en lui. Tous les buteurs ont un besoin énorme de ces deux facteurs. Et pour le moment, Berbatov a les deux.

Après le Community Shield, vous prédisiez que ce serait la saison de Berbatov. Aviez-vous une boule de cristal ?

Non, non, rien de tout ça ! J'ai simplement eu une conversation avec lui en début de saison. Je lui ai dit ' Ecoute, il n'y a que toi qui peut résoudre cette énigme. C'est toi qui a le contrôle. Tu as des capacités fantastiques et il faut que tu prennes conscience des ces capacités pour en tirer le meilleur. On est avec toi’. Et il a commencé la saison de façon formidable. Dimitar a été sans aucun doute notre star de l'attaque.

Le premier but face à Liverpool est venu tout droit d'un corner, quelque chose qui devient rare actuellement. Est-ce un secteur que vous voudriez améliorer ?

Je pense que beaucoup d'équipes ont de plus en plus de mal à marquer sur corner ou coup de pied arrêté de nos jours. Ce genre de but s'est fait moins fréquent parce que les défenses sont plus alertes et conscientes des dangers que ces phases représentent, elles sont mieux organisées. Tout ce qu'on demande, c'est du mouvement dans le rectangle et un bon service de la part de celui qui tire. Si on peut marquer sur des phases arrêtées, c'est du bonus.

Le prochain test de United en Europe aura lieu face aux turcs de Bursaspor à domicile. Seuls les trois points sont envisageables, n'est-ce pas ?

Vous avez raison. Nous devons être consistants en Ligue des Champions maintenant et faire de bons résultats à Old Trafford. United doit gagner contre Bursaspor, sans aucun doute. Notre record à l'extérieur dans cette compétition lors des dernières années est incroyable, nous voulons évidemment qu'il en soit de même cette saison.

United n'a jamais affronté Bursaspor. Quel genre de recherche implique ces matchs face à des oppositions relativement inconnues ?

On regarde beaucoup de vidéos, et mon frère Martin et notre scout en chef Jim Lawlor ont été voir Bursaspor à deux reprises. C'est un long voyage mais nous avons assez de données sur eux maintenant. Ils ont quatre argentins, deux brésiliens... Le club a dépensé beaucoup d'argent ces dernières années, grâce à leur propriétaire russe. Ce sera un déplacement difficile dans l’une de ces atmosphères typiquement turque.

Est-ce une coïncidence si trois figures importantes de United - vous-même, Brian McClair et Ole Gunnar Solskjaer - étaient toutes de grands attaquants prolifiques en tant que joueurs ? Les coachs ayant joué en attaque sont-ils tous indiqués pour pratiquer un football offensif ?

C'est une question difficile. Je ne pense quand même pas. Pour être un top manager, il faut avoir les bonnes convictions et les aborder avec la bonne philosophie. Le football offensif en fait partie. Mais je ne pense pas que les caractéristiques en tant que joueurs influencent la façon de diriger une équipe.

Ryan Giggs vous décrit comme le 'psychologue suprême'. Est-ce un aspect que vous avez travaillé au cours de ces années ?

Pour être honnête, je pense que beaucoup de gens mettent en évidence cet aspect de ma personnalité et l'exagèrent. Ce qui est important, c'est que quand vous travaillez avec des êtres humains, vous devez connaître votre sujet. Puis, il faut choisir la bonne approche pour aborder ce sujet. La plupart du temps, ça tombe sous le sens. L'expérience est un atout, bien sûr. Il n'y a toutefois pas de secret.

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