Dimanche 22 février 2015, le Sporting Lisbonne défait le club de Gil-Vicente 2-0 à domicile. Un événement à priori anodin pour la plupart des supporters de Manchester United si ce n’est que l’auteur du second but est une vieille connaissance du club Mancunien. Le but est splendide, une frappe puissante et limpide du gauche des 30 mètres qui va finir sa course dans le petit filet droit ne laissant aucune chance au gardien. L’auteur de cet exploit individuel a fait partie des victimes du dégraissage massif opéré par Louis Van Gaal cet été et même si son sort n’est pas encore scellé, peu croit encore à un retour de Nani, puisque c’est de lui qu’il s’agit, au sein du club. Ce but, aussi beau soit-il, n’est rien en comparaison de l’émotion qui a envahi le joueur et l’élan d’affection qu’ont occasionné ses pleurs chez beaucoup de supporters.  Finissant à genoux sa célébration, entouré de ses partenaires et les yeux levés vers le ciel, le joueur n’a pu empêcher les larmes de couler sur son visage. Des larmes de joie, symbole d’un bonheur retrouvé pour un joueur qui n’a que très peu goûté à la joie et à la reconnaissance ces derniers temps, trouvant ici un moyen d’exorciser les saisons noires et nous ramène, l’espace d’une action, à la dimension plus humaine de ce sport. Une renaissance pour un joueur oublié par beaucoup, enfoncé dans une spirale négative dont il a eu du mal à se dépêtrer et qui nous rappelle une certaine  vérité : "la forme est temporaire mais la classe est permanente". Loin du marasme et de l’agitation d’Old Trafford, l’ailier portugais a pu se ressourcer et troquer son habit d’éternel remplaçant ou de coupable désigné contre celui plus luisant de cadre d’une équipe heureuse de rapatrier, même pour une saison, l’un de ses fils prodigues. Le prêt de Luis Nani au Sporting est pour le moment une réussite et malgré une courte période de moins bien successive à une blessure, le joueur a donné satisfaction, s’attirant les louanges de ses supporters et assumant son rôle de star de l’équipe.

Tomber dans l’affect quand tu parles football est un moyen efficace de perdre une partie de son objectivité. Descendre un de ses joueurs préférés est un exercice difficile et il est souvent encore  plus compliqué d’encenser un joueur que l’on méprise pour x raisons. Dans ces cas là, on n’hésite pas à mettre son objectivité en mode off et c’est plutôt la mauvaise foi qui l’emporte. De la même façon, on est souvent plus enclin à pardonner à un joueur qu’on apprécie un comportement que l’on va s’empresser de dénoncer chez nos victimes préférées. Personnellement, j’essaie de laisser ce genre de considération de coté, et préfère me concentrer sur les performances sportives plutôt que la personnalité du joueur, qu’il me soit sympathique ou pas. C’est d’ailleurs assez compliqué, voir étrange, de porter un jugement humain sur une personne dont on sait finalement très peu de choses, et avec le temps, certains événements peuvent nous ramener à la réalité. L’attachement laisse place alors à la désillusion quand le joueur démontre qu’il ne possède aucune des qualités ou valeurs morales qu’on a voulu lui faire porter. Rien de surprenant quand on voit la manière dont la plupart d’entre eux contrôlent leur discours et soignent leur image pour s’attirer les faveurs d’un public en manque de héros. Un mode de fonctionnement qui laisse peu de place au naturel et qui ne sert qu’à nous vendre à nous, supporters naïfs, un produit ou une marque, à coup de sourires, de platitudes et de discours policés.

Respect et Basta! Ça devrait être la notion qui prime chez nous supporters pour ne pas franchir la ligne dangereuse qui nous sépare du "fan" et toutes les connotations négatives que ce terme porte. Mais bon, la passion et la raison ne font en général pas bon ménage. En parlant de respect et d’affection, il n’est pas rare d’éprouver énormément de respect pour un joueur, et n’avoir aucune sympathie pour lui en tant que personne. Pour exemple, je citerais Ryan Giggs : j’aime le joueur et suis admiratif devant tout ce qu’il a accompli au club. Par contre, l’homme ne m’inspire rien du tout et ce n’est pas une personne que je pourrais citer en exemple, n'étant pas fan de lui sur le plan humain. Pareil pour Alex Ferguson et son travail monstrueux à la tête de Manchester United mais que j’insulterais probablement s'il faisait partie de mes connaissances, tant je déteste plusieurs aspects de sa personnalité. C’est pour toutes ces raisons que la distinction est importante et que les attentes devraient uniquement être basées sur le sportif. Que demander de plus à un joueur que son investissement total sur le terrain en fonction de son talent ? Tout le reste, ce sont des notions trop floues pour être vraiment mesurées objectivement.

Pourtant, même si c’est rare, il m’est arrivé de sortir du cadre purement sportif et d’éprouver une affection particulière pour des joueurs de Manchester United. Pour certains d’entre eux, la raison était claire mais pour d’autres, je ne peux parler que de feeling. L’un de ses joueurs était Ji Sung Park dont j’aimais la simplicité et le sens du sacrifice : même trimballé aux quatre coins du terrain et servant souvent de porteur d’eau idéal aux stars de devant, il a toujours accepté d’effectuer tout le travail ingrat, quitte à renier ses propres qualités techniques et cela sans se plaindre, n’affichant que son plaisir de porter le maillot mancunien. En plus, je kiffe la "bromance" entre lui et Pat Evra ; belle histoire d’amitié entre deux vrais gars du club. Un autre plus récent est Javier Hernandez, qui arrivait grâce à ses sourires et sa joie apparente, à me réconcilier avec ce football bizness. Quand j’ai découvert qu’il avait failli arrêter le football, j’ai encore plus apprécié sa joie presque enfantine, gâchée il est vrai par sa dernière saison et le traitement injuste dont il a été victime. Le troisième, qui est le sujet de cet article, est Luis Carlo Almeida Da Cunha dit Nani.

J’ai vu Nani jouer pour la première fois lors d’un match de l’équipe A du Portugal. Je ne me souviens pas de grand-chose de ce match en dehors de sa performance. Il me semble que ça devait être sa première apparition, à en juger par l’attention qu’il suscitait de la part des commentateurs. Pour être honnête, ma première impression fut assez mitigée, et bien que sa performance soit globalement intéressante, il était difficile de ne pas avoir certains doutes au vu des faiblesses affichées par le joueur. Étant un grand fan des dribbleurs, j’ai apprécié sa façon de jouer et sa volonté de toujours chercher à provoquer, enchaînant les crochets et les feintes avec plus ou moins de succès. Mais comme souvent avec ce type de joueur, on a eu le droit également à une bonne dose de déchets techniques. Ceci reste assez compréhensible pour un joueur aussi jeune à la technique encore imparfaite et au toucher de balle approximatif. J’ai immédiatement fait le rapprochement avec Cristiano Ronaldo, tant les similitudes étaient apparentes au niveau de la gestuelle et dans la façon de jouer. Aujourd’hui, la différence entre les deux joueurs m’apparaît clairement et bien qu’évoluant au même poste, leur évolution a été différente. Mais à ses débuts, Nani aurait pu passer pour un clone footballistique de Cristiano. Cette comparaison a d’ailleurs été reprise très souvent dans la presse au fil des ans, trouvant sa source à la fois dans les similitudes dont j’ai parlées, mais également la nationalité commune des deux joueurs ainsi qu'au fait que tous deux avaient évolué au Sporting Lisbonne. Seul le très faible écart en terme d’âge entre les deux ont empêché le joueur d’être étiqueté "nouveau Cristiano". Autre point marquant durant ce match, les tentatives de tirs répétées du joueur à la moindre opportunité, préférant se la joueur solo plutôt que de passer par le collectif. Des choix égoïstes sûrement dictés par le besoin de se montrer. Ça aurait été un moindre mal si ces tirs avaient donné quelque chose mais contrairement au Nani actuel, sa version jeune aurait pu concurrencer Taye Taiwo dans la discipline très prisée du "dégommage de pigeons". En bref, si le talent était visible, l’ensemble manquait de grâce et nécessitait un vrai polissage pour espérer le voir suivre les traces de son aîné. Malgré ces quelques défauts, j’ai commencé à suivre le joueur et je ne perdais pas l’espoir qu’il suive les traces de son compatriote et le rejoigne à Old Trafford.

Son transfert a été une énorme surprise car il n’y avait aucune news qui le liait au club et j’ai appris son arrivé ainsi que celle d’Anderson, autre jeune très en vue, un matin en regardant les infos sportives. L’affaire avait été menée en secret et aucune information n’avait fuité, ce qui a renforcé notre plaisir. Arriver à signer en même temps deux des jeunes les plus prometteurs au monde et cela, dans une totale discrétion, c’était un vrai coup de maître de la part du boss.

Les débuts de Nani à Manchester, sans être mauvais, étaient loin d’être concluants. Contrairement à l’équipe actuelle, il était alors difficile  pour un jeune joueur, aussi doué soit-il, de se faire une place dans un effectif d’une telle qualité. Les saisons compliquées et le déclin progressif du club nous ont un peu fait oublier le niveau qu’avait atteint ce Manchester United là et le talent individuel des joueurs qui composaient cette équipe. Mais on parlait alors d’un des trois meilleurs club au monde et de joueurs qui faisaient partie du top mondial à leur poste. Nous sommes aujourd’hui devenus beaucoup moins exigeants et on s’enthousiasme pour des joueurs qui auraient eu du mal à figurer dans le onze de départ de ce United et qui pourtant, malgré leurs limites, sont des titulaires indiscutables dans l’équipe actuelle. Le niveau exigé était très élevé et les opportunités de se montrer très rares. Donc, il a fallu qu’il prenne son mal en patience et profite de la moindre chance de démontrer ses qualités. Sa carrière au club n’a commencé à vraiment décoller qu’au départ de Cristiano et beaucoup voyait en Nani le joueur capable de combler le vide laissé par Ronaldo. Il a progressivement commencé à se faire une place plus importante au sein de l’équipe et à produire des performances très remarquées. Sa saison la plus aboutie restera celle de  2010-2011 où il participera massivement à l’obtention du titre, affichant un niveau de jeu excellent qui lui vaudra de terminer meilleur passeur du championnat et d’être nommé meilleur joueur de l’année.

La suite est un peu moins reluisante, des blessures à répétitions viennent freiner son élan et l’écartent du terrain pendant de longues périodes. Le joueur peine alors à retrouver son niveau et paye chèrement chaque contre performance en étant le premier joueur à sortir. Il deviendra un habitué du banc, disparaissant du onze de départ plusieurs semaines de suite après chaque mauvais match et n’aura jamais la possibilité d’enchaîner les rencontres pour retrouver son niveau. Un traitement assez injuste quand on considère que d’autres joueurs ont pu, en toute impunité, enchaîner les matchs moyens voir médiocres sans être inquiétés. Il est difficile dans ces conditions de retrouver la confiance et de jouer libéré  avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête et le couperet prêt à tomber à tout moment. Le joueur va balbutier son football et faire souvent les mauvais choix, frustrant ainsi les supporters et son entraîneur qui va peu à peu perdre confiance en lui. Les critiques ne vont pas tarder à suivre et certains vont reprocher au joueur de dispenser son talent sporadiquement ou de n’être qu’un joueur de coup, allant même, chose surprenante, jusqu’à nier les longues périodes où le joueur a été un élément déterminant de l’effectif, ne résumant son bilan à Manchester qu’à quelques bonnes rencontres, le reste étant médiocre.

Globalement, l’empreinte qu’aura laissé Nani au club n’aura pas été à la mesure de son talent et son apport durant ses 7 saisons à Manchester, s’il venait à quitter le club en fin de cette saison, sera sûrement sujet à discussions. Resteront en mémoire ses coup d’éclat et ses gestes de grande classe dont sa chevauché fantastique contre Chelsea et le but magnifique qui conclut l’action. Il laissera certainement le souvenir d’un joueur très doué mais irrégulier dont on aura exagéré les défauts, certains allant lui reprocher un manque d’intelligence dans le jeu et une tendance à ne jouer que pour lui, oubliant ses partenaires. En ce qui me concerne, Nani m’aura marqué et ceci sur plusieurs aspects : J’ai encore beaucoup de ses matchs en dvd et il m’arrive, par nostalgie du joueur et du jeu pratiqué ces saisons là, de me repasser certains passages en m’attardant sur sa performance. Je dois dire que ça me laisse à chaque fois beaucoup de regrets sur la façon dont les choses se sont déroulées pour lui car un Nani au top était presque injouable et sûrement un des meilleurs au monde à son poste. Je me souviens encore d’un match amical de pré-saison contre Barcelone durant lequel, comme à leur habitude, les Barcelonais ont affiché leur supériorité technique et raviver dans nos mémoires certains souvenirs déplaisants de finales perdues. Ce jour là, face à la mastria des joueurs catalans, Manchester United étalait tout son déchet technique et la limite de ses joueurs dans un festival de contrôles ratés et de passes mal ajustées, nous laissant sur cette impression gênante de ne pas pratiquer le même sport et que la route pour retrouver les sommets sera plus longue que prévue.

Pourtant, au milieu de toute cette médiocrité, un joueur arrivait à tirer son épingle du jeu, affrontant nos adversaires du jour sur un pied d’égalité, allant même jusqu'à les titiller sur leur propre terrain, leur chasse gardée : le domaine technique. Démontrant toute sa vista au milieu de joueurs qui éprouvaient toutes les difficultés du monde à lui prendre le ballon, Nani a prouvé à l’ensemble des spectateurs de ce match que les artistes ne se trouvaient pas que d’un coté. C’est ce que j’aime voir sur le terrain, ce qui m’a fait aimer le football, la quintessence même de ce sport. Je reconnais volontier qu’un Antonio Valencia aura  été plus régulier qu’un Luis Nani et son apport plus conséquent. Mais je ne rêverai jamais devant un Valencia, il ne me surprendra pas et me fera rarement hurler ou ne me rendra euphorique. Dans la course au mérite, où les statistiques prennent le pas sur le spectacle, Nani ne sera sûrement pas le cheval gagnant, celui sur qui vous miseriez vos économies mais il peut être ce challenger excitant qui, dans un bon jour, peut déjouer les pronostiques les plus défavorables et franchir au terme d’un exploit la ligne d’arrivée en se moquant de ses détracteurs. J’ai souvent vu son irrégularité comme étant un prix à payer pour ses moments de brillance et en ce qui me concerne, je ne le classerai jamais parmi les joueurs surcotés ou les gloires éphémères, ses icares en crampons montés trop haut et trop vite par des journalistes s’improvisant dénicheurs de talent et qui, à coup d’envolées lyriques, te survendent un talent non confirmé dont ils finissent par brûler les ailes lorsqu’ils ne se révèlent pas digne d’un statut qu’ils n’ont jamais demandé.

On traverse une période où il est devenu difficile de vibrer pour ce nouveau Manchester United qui a perdu une part de son identité et l’attente n’est plus la même, l’effet de surprise ayant disparu. Nous sommes devenus des spectateurs désabusés dont la passion pour notre club nous contraint à regarder le même film au dénouement inconnu, mais dont le scénario se répéte inlassablement. Même les victoires ont un goût amer car, rarement satisfaits du contenu, on contemple un avenir incertain et on espère que cette nouvelle ère qui commence sera aussi belle que celles qui ont précédé.

Je me dis souvent que même au prix d’un résultat négatif, je signerai de nouveau pour avoir droit à un coup d’éclat du fantasque portugais, un dribble, une action soliste, je pardonnerai même le geste égoïste tant que ça fait renaître la passion, fait sortir de leur torpeur tous ces supporters qui ont l’impression de perdre deux heures précieuses de leur vie à suivre leur club, qui nous ferait bondir de nos canapés et péter un câble devant nos télés en scandant, l’esprit momentanément déconnecté, un seul nom "Nani, Nani, Nani…". Puis, direction le forum pour poster et glisser un "HGH" amical à l’autre camp, ceux qui ont tord forcement, aveugles sûrement, mauvaise foi moi ? Mais non !!!

J’aime également Nani pour le respect dont il a toujours fait preuve envers le club, même dans les moments difficiles. Aucun commentaire insultant envers l’entraîneur ou Manchester, aucune menace de départ, juste la volonté de travailler pour se rendre indispensable. Respecter son employeur qui vous paye grassement et les supporters qui vous suivent et vous encouragent vous et vos partenaires c’est normal selon vous ? Absolument ! Mais à une époque où les joueurs n’hésitent pas à sécher l’entraînement pour forcer leur transfert, où certaines négociations s’apparentent presque à du chantage dans le but d’obtenir un plus gros salaire. Là où certains s’inventent des pistes prestigieuses (n’est ce pas Valbuena) pour attirer l’œil des grandes écuries européennes et où d’autres fraîchement débarqués, à un prix record, vous parlent de leur futur destination... Dans cette époque là, même la norme peut devenir rareté, le respect applaudi au lieu d’être méprisé ou diminué. A défaut de faire l’unanimité sur le terrain, Nani lui n’a jamais montré autre chose que du respect pour United. Il aurait pu, par l’intermédiaire de son agent, se plaindre auprès de la presse de son faible temps de jeu ou du traitement souvent injuste dont il a été victime comme c’est très souvent le cas aujourd’hui. Mais il a gardé la même ligne directrice, ne mettant en avant que son amour du club et son envie d’aider l’équipe.

Le sentiment qui domine reste le regret avec plein de questions et suppositions : Que serait devenu Nani si Ferguson avait eu la même patiente et la même volonté de le faire réussir qu’il a eu pour Ronaldo. Ce dernier avait eu également des débuts difficiles et beaucoup réclamaient son départ. Mais on lui a offert la possibilité de progresser et d’apprendre de ses erreurs. 

Pour conclure cet article, chronique fanboy assumé, je dirais simplement que je kiffe Luis Nani. Il n’aura peut être pas marqué Manchester mais il aura marqué mon esprit et au final, les joueurs qui divisent ne laissent jamais indifférents. "Haters gonna love".

Lima

 

 

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