Grandir dans la guerre
Deuxième partie de l'interview accordée par Nemanja Vidic à ManUtd.com. Vida y parle de son enfance difficile dans une ville déchirée par la guerre, Belgrade.
Quels étaient vos joueurs préférés étant jeune?
Je n'avais pas réellement d'idole. Il n'y avait pas un joueur auquel je voulais ressembler. Mais il y en avait beaucoup que j'aimais regarder. Quand j'étais jeune, j'étais quelqu'un d'autre à chaque match, selon qui j'avais vu bien jouer. Je regardais le match, et après je disais : 'Je suis Faustino Aprilla', ou 'Je suis Dejan Savicevic'.
La génération de joueurs qui a gagné la Coupe d'Europe en 1991 avec l'Etoile Rouge de Belgrade m'a vraiment fait vibrer. Prosinecki, Pancev, Belodedic, Jugovic. Ce sont les joueurs qui ont remporté les titres pour l'équipe que je supportais quand j'étais gosse. Peut-être que c'était eux mes idoles, tous ceux-là.
Vous saviez que Manchester United a joué contre l'Etoile Rouge en 1991? L'Etoile Rouge avait très, très bien joué. Je n'avais que 10 ans donc je ne me souviens pas très bien mais j'ai vu des résumés depuis. Maintenant j'ai le DVD parce qu'un des joueurs de l'Etoile Rouge m'a demandé le match donc je l'ai demandé à MUTV. Je l'ai regardé quelques fois depuis, et je suis très impressionné.
A quel point est-ce que le football était important dans les années 90, quand il y avait tant de troubles politiques dans la région?
Dans les années 90, le football représentait tout pour nous. C'était le meilleur moyen de montrer au monde qui on était. A cette époque, il y avait plein de vilaines choses dans notre pays - des meurtres, des bombardements, la guerre - et c'était important que l'Etoile Rouge de Belgrade et la sélection jouent bien pour contrer les effets de la propagande négative.
C'était le meilleur moyen de montrer que les Serbes aimaient aussi le football et les événements sportifs. Aujourd'hui, le foot est encore le sport numéro 1 en Serbie et tout le monde veut jouer pour l'Etoile Rouge ou un des meilleurs clubs d'Europe. Le foot occupe une grande part de la vie des jeunes du pays.
Quel rôle a joué le football pendant la guerre?
Et bien, certains disent que le match entre le Dinamo Zagreb et l'Etoile Rouge de Belgrade de mai 1990 a constitué une étape dans l'escalade de la violence. Il y a eu une grosse bagarre - des supporters ont arraché des sièges, certains sont rentrés sur la pelouse, même des joueurs ont été impliqués. Je me souviens avoir vu le match à la télé et avoir vu Zvonomir Boban frapper un policier, ce qui a causé pas mal de problèmes. A cette époque, les relations entre ce que sont aujourd'hui la Croatie et la Serbie étaient froides, très froides...
Mais maintenant je pense que les mauvais sentiments ont disparu et que les gens réalisent que la guerre n'était pas la meilleure chose à faire. Je n'ai pas de problème avec les Croates et je ne pense pas qu'ils aient de problème avec les Serbes. Les années 90 étaient juste une période très instable et les politiques ont été dans la mauvaise direction. Cependant, je ne peux parler au nom de personne. Ces événements sont plus forts que moi, et plus forts que le football.
Mais le football a continué durant la guerre?
Oui, c'était très important. Alors même que la Serbie était bombardée, les gens continuaient à jouer au foot. L'Etoile Rouge de Belgrade avait encore de matchs de prévus et les gens allaient les voir jouer, même pendant la guerre. C'était étonnant! Je me souviens, quand les bombes ont commencé à tomber, le premier mois on avait trop peur pour sortir et jouer au foot parce qu'on ne savait pas ce qui se passait. Personne ne savait où les bombes allaient tomber.
Mais après un mois, les gens se sont calmés un peu et ont réalisé que les cibles étaient les bâtiments militaires, administratifs, ou les ponts. Donc on a pensé que c'était bon d'aller au stade et de jouer au foot - les bombes ne tomberaient pas là. Les gens voulaient continuer à vivre et regarder le football à la télé.
Vous avez été capitaine de l'Etoile Rouge. Avez-vous un jour l'ambition d'être capitaine de United?
Je ne pense pas à ça. Je joue juste mon football et que je sois capitaine ou non ne change rien à ce que je fais sur le terrain. Etre capitaine signifie beaucoup et c'est un immense honneur, mais je n'ai jamais fixé comme objectif d'être le capitaine de quelque équipe que ce soit. Si ça arrive, j'en serai ravi, mais ce n'est pas quelque chose que je vise.
L'Etoile Rouge était évidemment votre grande passion en grandissant, mais que saviez-vous sur United?
Pas mal de choses. En Serbie, ils montraient beaucoup de matchs du championnat anglais, de l'Italie et de l'Espagne. Donc bien sûr, je connaissais Manchester United, je savais que c'était un des plus grands clubs du monde.
Donc vous aviez l'habitude de voir jouer Ryan Giggs à la télévision?
Oh oui! Je me souviens de l'avoir vu jouer. j'avais l'habitude de voir jouer Giggsy et Scholesy et maintenant je joue avec eux chaque jour. C'est super! Mais maintenant c'est une personne différente - un grand professionnel, mais aussi une personne et un ami.
Est-ce que vous avez trouvé Paul Scholes aussi bon que sa réputation le laissait paraître?
C'est un grand joueur lui aussi. Il aime le football et il aime avoir le ballon dans les pieds. Il s'amuse beaucoup à faire des passes, marquer des buts et même tacler.
Pensez-vous que vous pourriez lui apprendre 2-3 trucs sur l'art de tacler?
[Rires] Peut-être, oui! Il y va très fort, et est toujours à fond. Des joueurs comme Giggsy et Scholesy sont le type de joueurs que les jeunes ont besoin de regarder. Ils ont joué au top niveau si longtemps et gagné tant de trophées... Je pense que c'est admirable et que les gens devraient apprendre à être comme eux. C'est superbe pour moi d'être ici et de pouvoir le faire.
Vous pouvez lire la première partie de cette interview, "Mes qualités sont moyennes", en cliquant ici.
Sur le forum
Alexis.B, le 10 avril 2022 à 16:20
Au final ça se rejoint, si tu sais ce que tu as à faire, c'est comme ça que tu y vois clair et prends les bonnes décisions, parce qu'elles respectent le cadre et la limite de tes fonctions.
Dace, le 10 avril 2022 à 15:42
il y a 52 minutes, Alexis.B a dit :Tellement une bonne analyse de Vida. Ce qui me claque le plus, c'est le fait qu'il dise qu'à l'époque, la hiérarchie était clairement établie. Et quand il parle de hiérarchie, il parle de l'encadrement, pas des joueurs. Et c'est vrai qu'à l'époque, on connaissait tous l'organigramme du club.
Aujourd'hui, le rôle de chacun est flou, on ne sait pas qui s'occupe de quoi. Et le pire, c'est que je pense que même ces employés ne savent pas réellement quel est leur rôle à jouer là dedans.
Pas d'accord sur un point, sur l'organigramme, on ne connaissait principalement que 2 hommes (Gill et SAF), car ils s'imposaient d'eux-mêmes, prenaient leurs responsabilités, et surtout avaient des adjoints qui les secondaient parfaitement.
Avec au final, malgré des erreurs, le plus souvent ils voyaient clairs et prenaient les bonnes décisions.
Alexis.B, le 10 avril 2022 à 14:47
Tellement une bonne analyse de Vida. Ce qui me claque le plus, c'est le fait qu'il dise qu'à l'époque, la hiérarchie était clairement établie. Et quand il parle de hiérarchie, il parle de l'encadrement, pas des joueurs. Et c'est vrai qu'à l'époque, on connaissait tous l'organigramme du club.
Aujourd'hui, le rôle de chacun est flou, on ne sait pas qui s'occupe de quoi. Et le pire, c'est que je pense que même ces employés ne savent pas réellement quel est leur rôle à jouer là dedans.
One Sheasy, le 10 avril 2022 à 14:14
En l'occurrence sur le lien que je poste il parle uniquement du cas Maguire, mais voici l'intégralité de son intervention que j'ai retrouvé sur d'autres sources (en anglais) :
https://www.manchestereveningnews.co.uk/sport/football/football-news/vidic-manchester-united-harry-maguire-23649683
"Vous pouvez avoir les 11 meilleurs joueurs sur le terrain, mais si vous n'avez pas une vision claire, si vous ne travaillez pas ensemble, vous n'avez aucune chance de gagner des trophées. Sans joueurs qui prennent leurs responsabilités, vous n'avez aucune chance. Tu penses que j'aimais mes 24 coéquipiers dans le vestiaire ? On jouait deux, trois matchs par semaine et je jouais pour l'équipe nationale. Je voyais suffisamment mes coéquipiers, je les respectais et les comprenais, mais je n'avais pas besoin de les voir plus. Je sortais le soir en Serbie et à Moscou. Dans le plus grand club du monde, c'était important de ne pas perdre du temps avec des choses stupides. Je voulais montrer au monde entier à quel point j'étais bon dans les années les plus importantes de ma carrière. Nous avions tous le même objectif à l'époque. Nous étions là pour jouer pour le plus grand club du monde et nous savions quel était l'objectif : remporter les plus grands trophées. Il m'est parfois arrivé de jouer alors que je ne me sentais pas bien, mais mes coéquipiers le voyaient et m'aidaient. On avait un esprit d'équipe incroyable et cela nous a permis de remporter des trophées. Être à 90 % n'est pas suffisant. Vous devriez avoir peur de ne pas être là la saison suivante et vous devez vous battre pour pouvoir rester parce que c'est seulement quand vous quittez Man United que vous réalisez à quel point Man United est grand."
"Ce sont de bons gars, mais la victoire réside dans le collectif et l'esprit d'équipe. Le football n'est pas un sport individuel. Le respect, la confiance et l'entraide sont très importants. Les meilleures charnières centrales se développent parce qu'ils jouent ensemble tout le temps. Si vous changez de défense tout le temps, c'est difficile d'instaurer la confiance. Rio [Ferdinand] et moi avons joué ensemble tout le temps. Un manager doit enseigner les principes, puis faire confiance aux joueurs pour qu'ils prennent leurs responsabilités, qu'ils jouent sans crainte et qu'ils les appliquent. Le football n'est pas une partie d'échecs, c'est sans cesse en mouvement et un latéral doit savoir quand monter. Je disais à Patrice [Evra] de se projeter et cela signifiait que je pouvais le couvrir. L'espace qu'il laissait était alors ma responsabilité. Perdre un ballon n'a jamais été un problème, le plus important était notre réaction pour faire en sorte de le récupérer. Et ensuite, une fois récupéré, quelles options on offrait aux joueurs pour qu'ils fassent des passes. Tout est une question de mouvement sans ballon dans le football moderne. À quoi bon avoir un joueur qui soit bon passeur s'il n'a pas de joueur dans l'espace à qui faire la passe."
(à propos de ce qui est important pour un club comme MU)
Je trouve à titre personnel qu'il s'agit de l'analyse la plus factuelle et objective au sujet de notre club sur ces derniers mois. Pas besoin de tomber dans des exagérations ou de vouloir générer à tout prix du bruit pour se faire entendre, et pas besoin non plus d'être trop désireux d'arrondir les angles voire de faire preuve de démagogie. Vidic le prouve encore une fois, et je pense qu'il ferait un bien meilleur analyste que certains de la TV anglaise. Un mélange entre bienveillance et lucidité que je ne trouve que chez si peu d'anciens du club.
Bref, je kiffe beaucoup trop ce mec et son état d'esprit, et souscris évidemment à l'ensemble de son propos. Un Red Devil pur jus !
EricLeRouge, le 24 avril 2023 à 17:33
à regarder :